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22mars
Hypnose et éthologie
  • Presse

Le lien avec le cheval, modèle de la relation avec le patient : Les enseignements de l’équitation éthologique

 

J’ai toujours apprécié l’état particulier dans lequel j’entrais au contact des chevaux. Que ce soit pour calmer un cheval nerveux, ou pour percevoir le plus finement possible les mouvements du cheval que je montais, j’avais l’impression d’entrer dans cet état de disponibilité que j’explore également au travers de l’hypnose. C’est en découvrant récemment l’équitation éthologique, avec Christophe Bruyère, et au travers de nos échanges, que les liens entre nos disciplines ont commencé à m’apparaître plus nettement.

Cette équitation naturelle, se base sur l’étude du comportement du cheval afin d’améliorer la communication avec l’animal. Elle vise à développer une relation homme- cheval respectueuse et non violente. L’éducation du cheval passe par la recherche
de sa collaboration plutôt que par la contrainte.

L’observation des chevaux dans leur milieu naturel, en troupeau, a permis de décrire les caractéristiques du comportement équin. Pour entrer en relation avec un cheval, l’homme doit apprendre à parler son langage, non verbal. Il cherche à détecter l’ensemble des signes émis par le cheval, et à développer une communication corporelle claire, compréhensible par l’animal. Frédéric Pignon, artiste équestre, qui travaille surtout avec ses chevaux en liberté, décrit l’importance de l’observation attentive :

« Nous sommes réellement présents, concentrés à 100% sur l’attitude du cheval, ses expressions, ses mimiques. ». « J’ai la sensation que mon cerveau enregistre, comme le leur, tout ce qui se passe, même les signaux infimes qui composent la communication non verbale ». J’ai, pour ma part, tout à fait ressenti l’importance de cette « écoute attentive attentionnée » lorsque je me suis retrouvée avec le cheval en liberté à mes cotés. Il était libre de partir, et il m’est apparu clairement que pour l’inviter à rester avec moi, il fallait que toute mon attention soit dirigée vers lui. Alors, aucune pensée, aucune réflexion ne m’encombrait.

Être en lien avec le cheval amène ainsi à un état de présence particulier, plus instinctif et intuitif, plus animal... Frédéric Pignon dit « avoir l’impression de retourner vers sa fraîcheur, sa réceptivité d’enfant ». Jouer avec un cheval nous invite à être totalement dans le moment présent : « auprès d’eux nous sommes là et ne sommes que là, rassemblés en nous mêmes ». Pour intéresser le cheval, que celui-ci lui fasse confiance, l’homme doit se rendre entièrement ouvert et disponible. « J’ai l’image de portes ouvertes vers l’autre, physiquement et aussi mentalement, de façon à croire que tout est toujours possible ». Cette disponibilité implique en effet de ne pas avoir de plan, d’être prêt à s’adapter à chaque situation, aux propositions du cheval : « C’est une acceptation de l’inconnu, de l’imprévu et l’exigence de garder les yeux ouverts sur tout ce qui peut se produire ».

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Je réalise en travaillant avec le cheval que je recherche un état très proche lorsque je suis avec un patient en séance, cette présence attentive et ouverte. Ce qui simplifie les choses avec le cheval est qu’il ne communique que de manière non verbale. Avec un patient, une rigueur encore plus importante est nécessaire pour garder au moins autant d’attention au non verbal qu’au langage. Travailler de cette manière avec les chevaux pourrait nous permettre de développer notre sensibilité aux signaux non verbaux.

En observant Christophe ou Frédéric, il est étonnant de voir la façon dont leur état se transmet immédiatement à celui de leur cheval. Ils peuvent tant l’apaiser que le rendre très énergique, juste en modifiant leur propre niveau d’énergie, au travers notamment de leur respiration. Frédéric explique qu’il utilise l’image d’un arbre, qu’il visualise ses propres racines dans le sol, quand il doit calmer un cheval inquiet. Pour récompenser le cheval, ils lui offrent de petits moments pendant lesquels ils ne font rien d’autre qu’être calmement à leur côté. Ils créent un climat de sécurité, dans lequel le cheval, animal par nature inquiet, se sent protégé. Le cheval doit identifier l’homme au cheval leader, celui qui dans un troupeau garantit la sécurité du groupe. Lorsque je cherche à offrir ce moment de tranquillité au cheval, je réalise que j’entre naturellement en autohypnose. Ma main posée sur le dos du cheval me permet de sentir sa respiration, la tension de ses muscles, et il apparaît que très rapidement le cheval perçoit et réagit à mon changement d’état et se relaxe. Dans l’enseignement de l’équitation éthologique, l’hypnose pourrait peut-être permettre de transmettre ce qui semble avant tout intuitif chez les meilleurs hommes de chevaux : expérimenter grâce à l’hypnose ces changements d’état afin de pouvoir ensuite les utiliser au contact des chevaux.

D’autres techniques que nous avons l’habitude d’utiliser en hypnose sont sollicitées dans la pratique de l’équitation éthologique. L’imagerie mentale est particulièrement développée. Ray Hunt, l’un des pionniers de l’équitation naturelle, insiste sur l’importance de commencer par imaginer le mouvement que l’on demande au cheval. « Il faut que vous parveniez à vous représenter clairement l’image de ce que vous voulez obtenir de votre cheval. Mais c’est vous qui le guidez et qui l’invitez à vous suivre, comme pour danser ». Frédéric insiste sur l’importance d’imaginer « l’idéal du mouvement » que l’on souhaite obtenir, en avoir l’image en tête, et l’ensemble des sensations qui correspondent à ce mouvement. Avec le cheval en liberté, j’ai été impressionnée par la différence de ses réactions lorsque je me représentais précisément ce que j’allais lui proposer. Alors que je courais, le cheval trottant à côté de moi, il suffisait que je visualise avec précision l’arrêt que j’allais lui demander, pour que celui-ci s’arrête avant même que j’ai eu conscience de lui en avoir fait la demande.

Une fois sur le dos de son cheval, le cavalier doit avoir l’image du centaure, la représentation de son propre corps inclue celui de son cheval. Ray Hunt explique :
« J’essaie toujours de visualiser et le corps de mon cheval et le mien comme s’il n’étaient qu’un. ». Les idées du cavalier passent alors par son propre corps pour être ensuite transmises jusqu’au corps du cheval. L’impression ressentie est extraordinaire : pouvoir par son esprit guider les pieds du cheval. C’est un moyen très direct de percevoir
« l’embodiment », la façon dont notre corps est indissociablement liée à notre pensée. L’idée du mouvement recherché modifie notre posture et le cheval, connecté et rendu sensible, réagit à ces infimes changements.

La relation entre l’homme et le cheval peut par plusieurs aspects éclairer celle du thérapeute avec son patient. Il y a avant tout ce climat de confiance qui est installé pour permettre la création du lien et de meilleures conditions d’apprentissage. De plus, le cavalier ne force pas le cheval à répondre d’une certaine manière, il lui apprend plutôt à prendre le temps de réfléchir pour trouver de nouvelles réponses face à une situation inquiétante. « Présentez lui les choses de la bonne façon et laissez le trouver par lui- même comment y répondre » explique Ray Hunt. Par exemple, la réponse naturelle d’un cheval est la fuite, mais si celui-ci a le pied pris dans un barbelé, il est très utile qu’il ait pu apprendre à s’arrêter plutôt que d’essayer à tout prix de s’échapper. Il est marquant de réaliser que l’on peut aider un cheval à désapprendre un reflexe si fortement inscrit dans son comportement, au profit de solutions plus utiles pour lui. Le thérapeute peut, de la même manière, chercher à créer les meilleures conditions pour que le patient puisse par lui même faire l’expérience de nouvelles solutions face à une situation qui le met en difficulté. Le thérapeute n’a pas à savoir à l’avance quelle est la bonne solution pour le patient, le plus important est qu’il ait crée ce lien de confiance qui permette au patient d’oser s’aventurer vers de nouvelles possibilités.

Fréderic Pignon et Magali Delgado, La force du lien, Actes Sud Ray Hunt, L’homme et le cheval en harmonie, Actes Sud